Après une formation en illustration à l’école Emile Cohl de Lyon, Edith Baudrand s’installe à Paris et illustre plusieurs livres pour enfants publiés aux éditions Nathan, Bordas, Grasset, Gallimard...Elle répond également à des commandes pour le théâtre et le cinéma. Parmi d’autres, elle a réalisé les peintures de Séraphine de Senlis–interprété par Yolande Moreau -pour le film Séraphine réalisé par Martin Provost. Elle a également reproduit et adapté les peintures de Vincent Van Gogh-interprété par Willem Dafoe -pour le film At Eternity’s Gate de Julian Schnabel et a travaillé sur des peintures monumentales pour The French Dispatch de Wes Anderson. Plus récemment elle a réalisé les peintures de Bonnard, Pierre et Marthe réalisé par Martin Provost.
Depuis quelques années Edith Baudrand développe une pratique axée sur le support papier, chemin initiatique au cours duquel elle expérimente les capacités d’absorption et de métamorphose de la matière. En adoptant une attitude empirique de « quête », Edith Baudrand a inventé un processus qui lui est propre et laisse une grande part de liberté à la poésie intrinsèque de la peinture, invariablement guidée par la mouvance de lignes invisibles, celles contenues dans les reflets de la terre, de l’eau ou du verre.
Sa série récente, débutée en 2020 – pendant le premier confinement – s’appelle « Albédos », du nom du pouvoir réfléchissant d’une surface lumineuse sur une autre. Dans ses « Albédos », l’artiste s’affranchit de la gravure et de la pierre lithographique. Ne reste que l’encre et la peinture, dont les lignes et les formes sont emprises dans la mémoire de l’eau. Une mémoire ondulante dans laquelle l’œil de l’artiste se plonge pour y déceler, plus qu’une couleur ou un dessin, le reflet de son corps et de ses arcanes internes. Il est ici question du pouvoir énergétique et poétique de la matière, du pouvoir de projection que pourrait avoir l’œuvre d’art pour rendre visible ce qui ne l’est pas, à savoir ici, le mystère de l’intimité et du sexe. Cette peinture qu’on pourrait qualifier de « physiologique » opère une mimesis du vivant pour tenter le défi de représenter l’informe de notre monde invisible. Les réverbérations infinies de la matière seraient alors les non-couleurs infinies de nos émotions.
La forme de lune, toujours la même, évoque une gemme aux reflets émeraude ou une belle empreinte de corail sous-marin. Mais pour Edith Baudrand, ces cercles sont surtout le réceptacle d’une imagerie beaucoup plus intime, celle d’une cosmogonie utérine. Ils délimitent le territoire de son inconscient féminin. Dans ces « ventres », les liquidités graphiques se développent à la manière « d’une flaque qui contient un univers » pour citer le rêveur Bachelard. « Peindre, c’est chercher le visage de ce qui n’a pas de visage » dit-elle en citant une phrase du peintre hollandais Bram Van Velde. Dans les formes organiques de la nature, Edith Baudrand part en quête de son intériorité sans visage, mais dont la présence se manifeste par des vibrations, des ondes, des fluides nés du plus profond de son corps. Edith Baudrand ressent la nécessité de se libérer d’un chaos, d’une amnésie traumatique, afin de faire resurgir des images fragmentées, flashs mémoriels persistants dans les ténèbres de l’être.
Comme l’Albédo de la Lune continue de briller dans la nuit. Il est le reflet d’un corps dont n’émane pourtant aucune lumière. Pour faire resurgir la rémanence de la pureté d’avant la souffrance. À travers différents processus de création, toujours liés à l’amour de la nature et du vivant, le chemin de la peinture l’a finalement amenée, depuis ces dernières années, à faire éclore cette lumière oubliée, féminité secrète et organique, à la charnière du songe et de la réalité, dont elle a aujourd’hui un désir plus grand de projection –irradiante- au monde. En témoigne sa dernière sculpture, corps de verre enveloppants et abstraits, idole transparente aux multiples reflets blancs et irisés.
Julie Chaizemartin, critique d’art